Ce texte a été publié dans Le Temps le 21 août 2015 dans le contexte de la mise en ligne d'un outil d'évaluation des positions de candidats aux élections fédérales sur les thèmes qui comportent des volets scientifiques importants.

 

Les lois de la nature, contrairement aux lois des hommes, ne peuvent se modifier pour suivre l’évolution de nos sociétés. Les scientifiques se trouvent donc parfois devant la tâche ingrate de devoir communiquer aux femmes et hommes politiques les implications dérangeantes des lois que la science a mises en évidence. La perte de la biodiversité, la fin programmée de certaines ressources et le changement climatique en général  sont des exemples de cet état de fait. Ces problèmes ont besoin de solutions qui ne font pas toujours l’unanimité et qui vont souvent à l’encontre d’intérêts à court terme.

Ces thèmes occupent une place de choix dans les débats politiques. Ils ne quitteront pas le devant de la scène tant que les intérêts à court terme l’emporteront sur des solutions véritables. Si l’on prend l’exemple de la biodiversité, garante de la diversité de la vie, sa préservation représente un enjeu capital pour que cette planète reste viable à long terme pour nous, êtres humains. Or, dans un rapport ... référence au rapport... commun de 35 institutions scientifiques suisses, dont l’élaboration a été coordonnée par le Forum Biodiversité de l’Académie suisse des sciences naturelles, les scientifiques arrivent à une conclusion plutôt décourageante: «La biodiversité en Suisse ne cesse de régresser drastiquement ces dernières décennies et la tendance s’aggrave.» Cet exemple est valable pour d’autres débats politiques sur le thème du développement durable. En dépit d’une politique active et de progrès ponctuels, la tendance à l’agravation s’accentue.

La société doit tirer leçon de cet échec. Pour progresser, une collaboration étroite entre la science et la société sera un élément déterminant.

La Suisse a la chance d’avoir une démocratie participative. Les pesées d’intérêts sont traitées avec un soin et un souci particuliers. Dans ce système en constante recherche d’équilibres délicats, le rôle des chercheurs devient nécessairement difficile: Bien qu’ils disposent d’un savoir important et essentiel pour l'avenir de la société, ils ne sont qu’un pion du jeu. Le savoir qu’ils apportent n’est souvent pas entendu ou alors relativisé face aux intérêts à plus court terme qui s’expriment parfois vigoureusement. Afin de faciliter la transmission du savoir, les Académies suisses des sciences s’engagent fortement dans le dialogue avec le monde  politique. Toutefois, comme les scientifiques qui participent à ce dialogue ne défendent  pas d’intérêts propres, ils ne participent pas à proprement parler à la recherche des équilibres. Par ailleurs, ils ne doivent ni ne peuvent faire partie de l’arène politique. Leur indépendance partisane  est en effet une condition essentielle du conseil scientifique en matière politique.

Dans la mesure où les chercheurs ne sont pas eux-même des acteurs politiques au sens restreint du terme, ils ont besoin de femmes et d’hommes politiques de tous partis qui comprennent les règles imposées par la nature et avec lesquels ils peuvent faire entrer les enjeux scientifiques dans les débats de société.  

Le monde scientifique est cependant tout sauf un interlocuteur simple. Il est plutôt rare en effet que la science propose des solutions faciles, les mesures de grandeurs physiques et environementales et leurs extrapolations sont toujours entâchées d’incertitudes et le débat scientifique est parfois vif.  Les scientifiques s’efforcent de dominer ces difficultés et communiquent leur savoir au monde politique à travers des rapports, des factsheets, des prises de position dans le cadre de processus législatifs ou encore  lors de rencontres directes avec les politiciennes et politiciens. L’état des connaissances sur un sujet donné, les possibilités d’action et leurs conséquences probables y sont abordés et détaillés, de même que les questions ouvertes et les demandes précises émanant du monde politique. Bien souvent, la science ne propose pas d’options claires mais parle plutôt de scénarios alternatifs ou de probabilités. Une «oreille attentive à la science» signifie de ce fait une disposition d’esprit des politiciennes et politiciens à un dialogue intensif et ouvert avec la science. C’est seulement de cette manière que la mise en oeuvre d’une politique basée sur des évidences est possible.

Dans le cadre des élections de cet automne, nous avons l’opportunité de choisir des politiciennes et des politiciens qui ont l’indépendance et l’opiniâtreté nécessaires pour prendre au sérieux et intégrer les déclarations des scientifiques dans les processus de décision politiques. Mais comment les électrices et les électeurs peuvent-ils trouver les candidat-e-s prêtant une oreille attentive à la science? Les Académies suisses des sciences et le Fonds national suisse ont lancé à cet effet le projet ScienceDebate. En collaboration avec smartvote, l’outil d’aide de vote en ligne, nous mettons à disposition des informations pour permettre aux électrices et aux électeurs d’évaluer dans quelle mesure un parti, respectivement ses candidat-e-s, prennent en compte les déclarations des scientifiques. Ces informations ne livrent pas de réponses univoques et ne constituent en aucun cas des recommandations de vote. Elles doivent plutôt permettre à l’électeur-trice de disposer d’un outil pour contribuer à faire son choix. Afin que les vérités qui dérangent aboutissent à des solutions tout aussi dérangeantes – pour un monde moins dérangé!
Thierry Courvoisier, président des Académies suisses des sciences