Voici pour terminer cette série sur les composants "noirs" de l'Univers quelques lignes à propos de l'énergie noire.

 

 

L’énergie noire

Thierry J.-L. Courvoisier

Juillet 2019

A la fin des années 1920 l’observation des galaxies avait montré que la plupart d’entre elles s’éloignent de nous et que plus elles sont distantes plus elles s’éloignent rapidement. L’expansion de l’Univers était découverte (par G. Lemaître, un abbé belge et non par Hubble comme énoncé le plus souvent), en accord avec les équations d’Einstein appliquée au cosmos. La constante cosmologique n’était pas nécessaire pour comprendre ces observations. (Pour une introduction à la constante cosmologique : http://thierrycourvoisier.ch/fr/astrophysique/77-la-constante-cosmologique ).

Quand vous lancez une balle en l’air, elle ralentit au fur et à mesure de son ascension et, pour autant que vous ne l’ayez pas lancée à plus de 11km/s, elle retombe. L’attraction gravitationnelle de la terre est responsable de cette trajectoire. De même, on attend que l’expansion de l’Univers ralentisse au fil du temps et, en fonction de sa densité et de sa vitesse d’expansion, que ce mouvement se poursuive indéfiniment ou au contraire s’inverse et se transforme en contraction.

Ces considérations ont été depuis les années 1930 au coeur des investigations des astronomes épris de cosmologie. Il s’agissait de mesurer avec précision la vitesse d’expansion de l’Univers et son taux de ralentissement. Ces mesures sont difficiles, pas tellement pour la mesure de la vitesse des galaxies que pour leur distance, les deux grandeurs étant nécessaires. Les distances des galaxies lointaines étant immenses comparées à notre environnement immédiat -des millions d’années lumière alors que la distance Terre-Soleil n’est que de 8 minutes lumière- il faut mettre en oeuvre tout ce que nous savons des étoiles, des galaxies et des amas de galaxies pour estimer ces distances correctement. Il faut aussi des observations de grande précision. L’importance de ce programme et sa difficulté sont une des motivations principales derrière le projet de télescope spatial de la NASA et de l’ESA (HST).

Après des controverses parfois virulentes la vitesse d’expansion de l’Univers a finalement été établie dans les années 1990. Pour ceux que les chiffres réjouissent, sa valeur admise maintenant est d’environ 74 km / (s Mpc). (Ceci veut dire qu’une galaxie distante de 1Mpc, soit 3.3 millions d’années lumière, s’éloigne de nous à la vitesse de 74 kilomètre par seconde.)

Ces études ont cependant aussi mené à une surprise de taille. Contrairement à toutes les attentes et à notre connaissance de la gravitation, l’expansion de l’Univers s’accélère et ne ralentit pas. Ce résultat provient de l’observation d’explosion d’étoiles aux confins de l’Univers et a valu un prix Nobel en 2011 à trois équipes de chercheurs. Que l’expansion de l’Univers accélère plutôt qu’elle ralentisse contredit tout ce que notre intuition nous dit de la gravitation.

Pour comprendre le phénomène il faut avoir recours à la constante cosmologique ( dont l’introduction est décrite dans un autre des textes de cette série : http://thierrycourvoisier.ch/fr/astrophysique/77-la-constante-cosmologique).

Nous avions alors écrit les équations d’Einstein avec cette constante comme :

            Gμν + Λgμν= 8ΠG Tμν .

Λ est la constante cosmologique. Sous cette forme il est possible de comprendre l’accélération de l’expansion de l’Univers, ou tout au mois de la calculer formellement en fonction de Λ. Par contre cette forme demande que l’on ajoute une constante naturelle – Λ - à l’ensemble de celles que nous avons déjà, comme par exemple la constante G de la gravitation. Cette manière de procéder manque de justification. C’est une forme de Deus ex machina : on ajoute un terme et une constante à une équation pour expliquer un phénomène.

C’est pourquoi on écrit volontiers cette équation légèrement différemment :

Gμν= 8ΠG Tμν - Λgμν.

 

Où, comme à l’école, nous avons fait glisser le terme de la constante cosmologique de l’autre côté de « = » en changeant son signe. Une opération parfaitement autorisée par les règles des mathématiques. Le terme de la constante cosmologique apparaît maintenant du côté « matière » de l’équation (cf. http://thierrycourvoisier.ch/fr/astrophysique/74-trous-noirs-et-m87). On peut dès lors considérer la constante cosmologique comme une forme de matière. C’est ce que l’on appelle énergie noire, ou énergie sombre.

Cette forme de matière a cependant des particularités bien peu intuitives. Elle a une pression négative. Il est facile de déduire ceci formellement, il est par contre fort difficile de se le représenter, toutes les formes de matière que nous connaissons ayant une pression positive. La mécanique quantique prédit bien qu’il devrait exister une telle forme de matière. Mais les estimations montrent que sa densité est sans commune mesure avec la valeur de la constante cosmologique mesurée dans le cosmos.

Quelle que soit la manière dont on retourne le problème de l’accélération de l’expansion de l’Univers on se heurte donc à une difficulté majeure : une constante inexpliquée, une forme de matière totalement inconnue ou une discrépance énorme avec nos attentes dérivées de la mécanique quantique. Pour l’heure, « énergie noire » est plus un mot qui recouvre un pan d’ignorance qu’un ingrédient identifié de la composition de l’Univers.