Thierry J.-L. Courvoisier

Octobre 2021

Cet article est publié sur heidi. news le 14 octobre 2021

 

La prospective scientifique, l’art de regarder vers le futur pour y deviner les avancées technologiques possibles ou probables, est un exercice nécessaire pour identifier les outils qui nous permettront de trouver des solutions aux problèmes qui nous préoccupent, au premier rang desquels se trouve le réchauffement climatique. Genève a vécu au rythme de la prospective grâce à GESDA du 7 au 9 octobre.

Chercher des solutions aux problèmes actuels est une activité poursuivie avec vigueur et succès depuis des décennies, entre autres par les académies des sciences (les académies suisses des sciences sont un acteur de qualité et en Europe l’EASAC -European Academies Science Advisory Council- joue un rôle important comme vis-à-vis de la Commission). Des solutions originales aux problèmes de notre temps ont ainsi été identifiées, analysées et confrontées aux réactions de la société. On sait comment décarbonner les transports, décroître notre dépendance aux énergies fossiles, utiliser le soleil du pourtour de la Méditerranée, rendre notre agriculture plus écologique pour ne citer que quelques exemples. Tout ceci a été dit, écrit et mis à disposition des autorités de manière libre de conflits d’intérêts, par les meilleurs scientifiques de notre époque.

Cela ne suffit pas, les actions préconisées par la communauté scientifique doivent être intégrées dans des politiques pour devenir efficientes. Or les recommandations émises par les scientifiques sont souvent ignorées par les instances qui pourraient les mettre en œuvre, à l’exemple du parlement suisse qui reconduit de quatre ans en quatre ans un moratoire sur les organismes génétiquement modifiés, bien qu’il ait demandé au Fonds National de la Recherche Scientifique il y a des années tout un travail qui lui montre comment gérer cette activité. Il existe ainsi nombre de solutions que notre incapacité d’action politique nous empêche de mettre en œuvre. Incapacité trop souvent causée par de puissants groupes d’influence défendant des intérêts particuliers.

Les activités de prospective ont pour but l’identification des savoirs et des technologies qui modifieront nos sociétés de manière importante, des game changers. Les acteurs de ces prospectives mentionnent souvent le potentiel de ces nouvelles technologies pour améliorer le sort de toute l’humanité sur l’ensemble du globe. Force est de constater cependant que les révolutions technologiques des dernières décennies, dont certaines, comme internet, ont changé la face du monde, profitent de manière très inégale au bien-être humain et donnent un pouvoir démesuré à certains en en asservissant d’autres. Rien dans ce que nous entendons dans le discours actuel ne nous permet de penser que les révolutions à venir ne seront pas comme les précédentes au bénéfice de sociétés occidentales, et dans ces sociétés au profit de quelques individus ou groupes d’individus. Le manque de volonté de nos autorités pour contrôler les technologies existantes afin qu’elles bénéficient à tous, ne présage guère de leur capacité à mettre les technologies émergentes réellement au service de l’humanité dans son entièreté. La disponibilité des vaccins contre le covid dans les populations pauvres est un exemple criant de cette incapacité.

La protection de la propriété intellectuelle, la recherche militaire et le secret qui y est associé et les guerres de pouvoir au sein des états et entre les états sont autant d’obstacles à un réel partage des bénéfices de la science et de la technologie. Ces écueils ne sont guère mentionnés et mettent en brèche le discours si souvent entendu sur les bénéfices des technologies. Pourtant ces bénéfices sont bien présents : la pauvreté a été considérablement diminuée sur la surface du globe ces dernières décennies : la plupart d’entre nous meurent entourés de soin et rassasiés d’années, le changement climatique pourrait être maîtrisé par des outils parfois même simples et connus, le covid est vaincu par des vaccins développés rapidement, nos communications sont efficaces etc.

Développer des technologies, si prometteuses soient-elles, est insuffisant, il faut encore que la société soit disposée à adopter les nouveaux outils. Or nous mesurons maintenant que la course vers toujours plus de dépendance technologique rencontre une résistance de plus en plus vive. Cette résistance se marque par exemple autour de la « 5G » dans la téléphonie ou par le scepticisme de beaucoup face à la vaccination. Prendre la mesure de cette évolution de la société est indispensable et montre que quelques soient la valeur et l’utilité des technologies à venir, une partie des problèmes auxquels nous faisons face peuvent, et peut-être doivent, se résoudre par des adaptations sociétales plutôt que technologiques.

La prospective, la recherche de solutions aux problèmes de notre environnement, ou encore la compréhension de la société humaine, reposent sur une recherche solide, sur une connaissance fondamentale du monde. Cette connaissance est avant tout autre valeur le socle de notre culture. Le partage de cette connaissance, le plaisir de satisfaire une curiosité naturelle, la contemplation de la beauté du monde et le dialogue entre cette contemplation et le savoir doivent rester au centre de notre quête de savoir, avant toute velléité d’application. Une vérité que les acteurs du savoir quelques soient leurs fonctions doivent garder précieusement en tête.