Ce texte est publié par "The Conversation" un journal online indépendant dont le siège est à Londres, mais qui a une audience globale. L'article publié se trouve ici.

 

Il est de la responsabilité de nos sociétés de maintenir sur terre des conditions permettant le développement harmonieux de l’humanité. La conduite de ce programme exige une connaissance approfondie de la planète, de son interaction avec le rayonnement solaire et des mécanismes qui agissent sur la biosphère, l’atmosphère, les océans et les continents. Il nous faut connaître les paramètres physiques, chimiques et biologiques de nos environnements, leurs histoires aussi, et il nous faut encore des modèles solides pour prévoir leurs évolutions.

Comment gérer les ressources naturelles, le climat ou la nutrition de l’humanité sans savoir ce que notre planète recèle en terme de minéraux ou d’éléments chimiques ? Comment maîtriser le climat sans connaître la physique de l’atmosphère et de son interaction avec le rayonnement solaire d’une part et avec les océans, les continents et les acteurs biologiques que sont les végétaux et le plancton d’autre part ? Comment assurer la nutrition de milliards d’humains sans comprendre les pratiques agricoles, leurs influences sur les sols, et les différentes cultures humaines ? Le savoir que ces questions impliquent doit être pris en compte lorsque nos sociétés prennent des décisions souvent lourdes de conséquences pour notre environnement. Or les acteurs de la politique n’ont souvent qu’une faible idée de la science, de son potentiel et de ses limitations. La plupart d’entre eux ont suivi des cursus plus proche du droit, de l’économie ou des sciences politiques que de la chimie, de la physique ou de la biologie. Les choix de filières de formation sont faits jeunes. Ceux qui conduisent vers des carrières dans la politique ou l’économie sont souvent influencés par un certain désamour des disciplines scientifiques. C’est ainsi presque par dessein que depuis tout jeune ceux d’entre nous qui se destinent à la conduite de la société sont éloignés du savoir scientifique.

De leur côté les scientifiques ne sont que peu au fait des jeux de la politique, des arcanes du pouvoir, des pratiques qui l’entourent et aussi de ses limitations. L’internationalisation de la science, nécessaire à son progrès, contribue encore à éloigner les scientifiques de la société. Un chercheur chinois travaillant au CERN est certainement bien intégré dans le monde de la recherche, il n’en est pas moins difficile pour lui de contribuer à la vie du village ou du pays dans lequel il aura élu domicile. Tout sépare les communautés scientifiques et politiques qui n’ont que peu ou pas d’occasions de se croiser, de se rencontrer et de s’apprécier mutuellement.

A une époque que d’aucuns qualifient d’anthropocène pour souligner l’importance de la trace humaine sur la planète il est indispensable de rapprocher les scientifiques des décideurs politiques et d’amener le savoir là où il est essentiel pour générer des législations et des décisions porteuses d’avenir.

Les difficultés de ce dialogue sont nombreuses. Tout d’abord, les processus en jeu sont complexes, le réchauffement de la planète, par exemple, correspond à un déséquilibre entre l’énergie apportée par le soleil et le rayonnement de la terre de moins d’un demi pour mille. Comprendre les échanges énergétiques de l’atmosphère avec cette précision demande un effort considérable. Deuxièmement, les mesures de quelque grandeur que se soit sont toujours entachées d’une incertitude déterminée soit par la statistique des mesures soit par les propriétés des instruments de mesure, ou le plus souvent par les deux. Extrapoler des mesures à l’aide de modèles ne fait qu’accroître les incertitudes. A ces difficultés intrinsèques à toute communication scientifique s’ajoutent des problèmes liés aux enjeux. Le savoir scientifique répond à la curiosité humaine, mais il amène avec lui un pouvoir qui peut être considérable. Maîtriser la génétique de certaines plantes et utiliser cette maîtrise pour produire des semences donnent aux détenteurs de ce savoir une puissance économique considérable, car il permet de vendre annuellement les semences dont les agriculteurs ont besoin, mais c’est aussi le pouvoir de ne pas vendre ces semences et donc de provoquer des disruptions potentiellement importantes dans l’alimentation de populations entières. Les implications de décisions dans le secteur énergétique sont tout aussi lourdes de conséquences économiques et vitales pour des populations entières.

Les communautés scientifiques et politiques, les partenaires de ce dialogue, ne sont pas homogènes. Il est difficile pour une personne étrangère à la communauté scientifique d’en appréhender les codes et les us. Si les institutions scientifiques sont le plus souvent structurées et hiérarchisées, le savoir l’est beaucoup moins. Ce ne sont pas forcément les directeurs et recteurs qui sont le plus à même d’apporter le savoir le plus relevant, ce peuvent être des personnes loin des appareils des institutions de recherches. Il est aussi difficile de juger de la pertinence des discussions scientifiques et de savoir lesquelles sont fructueuses et lesquelles sont des disputes stériles d’égos surdimensionnés. Les premières sont le plus souvent construites de manière à ce que les faits mesurés sont reconnus par tous les protagonistes. Leurs interprétations et les valeurs qui entre en jeu proprement identifiées comme telles. Les secondes mélangent mesures, souvent de peu de rigueur, valeurs et interprétations sans discernement. De telles considérations sont difficiles à distinguer de l’extérieur et en particulier pour les médias qui tendent à mettre en position équivalente les tenants de diverses positions sans avoir évalué la solidité des évidences avancées par les uns ou les autres.

Ces difficultés sont bien réelles. Elles ne doivent cependant pas limiter les efforts de chacun pour les maîtriser. Les scientifiques doivent apprendre à parler, à donner des faits quand ils sont nécessaires au dialogue et à inspirer la confiance. Ils doivent aussi apprendre à écouter leurs partenaires. Les politiques doivent de leur côté apprendre à écouter des orateurs dont les attitudes et postures leur sont étrangères. Les académies sont des lieux privilégiés pour cet apprentissage réciproque. Ces institutions se sont beaucoup réformées ces dernières décennies pour faire face à ce défi. Elles prennent leur responsabilité en matière de communication non seulement avec le monde politique à proprement parler, mais aussi avec la société dans son entier, bien consciente que le personnel politique est une émanation de la population dans toute sa diversité.