Une première version de ce texte a été traduite en allemand et est parue comme éditorial ("Allegra") du numéro 2/13 du journal du parc national suisse Cratschla.

 

En naviguant le long des canaux, dans les mers intérieures et dans les eaux hollandaises, on constate que tous les paysages traversés sont façonnés par l'action humaine. Le niveau des eaux est contrôlé par des écluses, des digues et des protections contre les crues; il est adapté à la configuration du terrain et contribue à délimiter la place donnée à l'agriculture, à l'industrie et au transport maritime et fluvial.  Les réserves naturelles ne font pas exception, elles résultent des  choix et options  que la volonté humaine met en oeuvre. Les parcs et réserves  sont façonnés comme les autres zones par des ingénieurs et par les responsables du contrôle des eaux. Ces étendues n'ont rien de "naturel", elles sont simplement des zones dans lesquels certaines espèces végétales et animales se reproduisent hors de l'habitat humain et à l'abri de son industrie.

Nos paysages alpins et en particulier les zones protégées  sont si hostiles à l'activité humaine que nous les pensons à l'abri de nos influences.  Il n'en reste pas moins que la faune alpine   est  sous le  contrôle des gardes-chasse et autres officiels. Les espèces de grands oiseaux et mammifères y sont tirés ou (ré-)introduits au gré de décisions politiques ou administratives. Contrairement à la Hollande, la géologie alpine  échappe largement  à notre contrôle, encore que la présence de lacs artificiels, de barrages et de tunnels témoigne d'une emprise humaine non négligeable sur les montagnes. La nature alpine est donc aussi  façonnée dans une certaine mesure par l'activité humaine jusque dans ses ultimes recoins.

Le parc national suisse est né il y a un siècle de la volonté humaine. c'est une extension des zones de paysages alpins protégés  jusque dans des régions dans lesquelles l'activité humaine se développerait, si elle n'était pas réglementée avec rigueur. Il n'en reste pas moins, qu'à l'instar des autres parcs, régions et réserves naturelles dans le monde, le parc national est soumis à notre influence. Sans même s'appesantir sur le contrôle des débits  d'eaux sortant de lacs en amont ou sur la pression exercée par les activités humaines alentour, le parc national, comme toute parcelle de terre, de mer et d'atmosphère, est soumis au réchauffement climatique et à ses conséquences physiques ou chimiques.  Ici comme ailleurs, il n'existe aucune région ou réserve qui soit "naturelle", si l'on entend par "naturel" épargné par l'influence des hommes.

 

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Paysage hollandais dans les environs de Dordrecht (Crédit B. Courvoisier)

 

D'un autre côté, les humains sont le résultat de l'évolution naturelle des espèces. Leurs outils et actions sont donc partie intégrante de la nature. Nos paysages urbains, voire les pires régions industrielles ne sont que le résultat de l'action humaine. Nos réalisations, les plus belles comme les plus détestables sont, dans ce sens, partie intégrante de la nature.  Mexico City n'est  alors pas moins naturelle qu'une fourmilière.

 

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Fourmillière (Crédit D. Cherix)

 

La différence entre des  parcs, zones et  réserves naturelles d'une part et les autres paysages d'autre part réside plus dans le type d'activités que les décisions humaines attribuent à chaque région qu'à une notion de nature conservée.

Il ressort de ces considérations que "préserver la nature" est une expression qui n'a guère de sens pour qualifier certaines de nos actions, même les plus "vertes".  Ce n'est pas, cependant, la sémantique qui doit guider notre action, mais bien la volonté de développer l'activité humaine de manière à ce que la surface de la terre reste hospitalière.  Le contenu de cette notion est un vaste débat: Pour qui ou pour quelles espèces la terre doit-elle être hospitalière? Quelles civilisations doivent pouvoir s'épanouir? Ces questions dépassent largement ce texte. Il n'en reste pas moins, que, quelque soient les réponses apportées, épargner à de grandes aires géographiques telles que le parc national les outrages de l'industrie est un acte essentiel pour que nous puissions continuer de vivre sur Terre. Etudier ces zones et les comprendre est aussi fondamental   pour nous donner les outils dont nous avons besoin pour guider notre action vers un environnement global "vivable".