Les académies suisses des sciences ont publié un éditorial sur ce sujet dans leur Newsletter 3/2013 (http://www.akademien-schweiz.ch/index/Aktuell/News.html). Le texte présenté ici est une version  étendue de ce texte. J'en porte seul la responsabilité.

Nous avons en Suisse parfois des discussions vigoureuses sur la place et le rôle que doivent ou peuvent avoir les financements privés dans la recherche et l'enseignement pratiqués dans nos universités et écoles polytechniques fédérales. Ces discussions sont souvent passionnées, elles sont la marque de différents modèles de sociétés.  Passionnées ces discussions trouvent un écho généreux dans la presse.

Les liens entre les mondes universitaires et privés sont multiples. En plus de  recherche intra-muros, certaines (grandes) industries et groupes financent volontiers des recherches et de l'enseignement au sein d'universités ou hautes écoles publiques dans des domaines qui leur sont proches. Inversement, des chercheurs et des professeurs travaillant dans des institutions publiques participent à la vie d'entreprises en acceptant des mandats dans des organes consultatifs ou décisionnels. D'autres pratiquent leur métier dans le monde privé à côté de leur engagement universitaire. C'est le cas en particulier de juristes, avocats ou médecins.  Tous ces liens sont importants pour que le monde académique contribue au mieux à la vie de la société en général.  

Une partie du savoir acquis, où que ce soit, contribue à maîtriser notre environnement et à façonner le cadre dans lequel nos vies s'inscrivent. Un pouvoir économique et politique considérable peut être lié à ces connaissances, par exemple dans les domaines des bio-technologies ou de l'énergie. Il suffit de considérer de quelle manière les organisations qui contrôlent les semences peuvent dicter la productivité agricole, et donc l'alimentation de populations entières, pour se convaincre que ce pouvoir est non seulement économique, mais aussi vital.  Les pouvoirs respectifs des entreprises privées et de l'Etat sont donc en jeux dans la discussion des rôles des organismes privés ou de l'Etat dans la conduite et le financement de la recherche.

 Dans le monde de l'économie privée la finalité des entreprises  est l'enrichissement des actionnaires ou autres propriétaires. Le savoir généré  par la recherche menée dans ce cadre est pour une grande part propriété des industries, il est protégé par des brevets. Le pouvoir public a, ou devrait avoir, le bien commun comme seul objectif. Le savoir résultant de recherches publiques est publié dans les journaux de chaque branche et, en principe, disponible pour tous. En considérant les finalités respectives des acteurs privés et publics, on peut imaginer que l'Etat devrait contrôler autant que faire se peut les savoirs dont découlent les enjeux vitaux de nos sociétés. De nombreux commentateurs font par contre souvent le constat, certainement en partie juste, que les entités privées sont plus efficaces que les organismes publics, dont font partie nos universités et hautes écoles.  Le monde privé est donc encouragé à intensifier son action dans le domaine de la recherche et, pour une part petite mais grandissante, dans le financement de la recherche et de l'enseignement au sein nos hautes écoles.  

La recherche financée par des fonds privés dans des entités publiques se situe entre les extrêmes que sont la recherche menée uniquement par les industries d'une part et la recherche financées exclusivement par des fonds publics d'autre part. Cette zone est régie par des contrats et conventions qui lient les parties et répartissent les droits, devoirs et bénéfices de chacun. En Suisse chaque institution gère ses partenariats elle même. Ce sont les termes de ces conventions qui font parfois débat. Jusqu'où peut ou doit aller l'influence privée sur la recherche et l'enseignement publics? Quels privilèges peuvent ou doivent recevoir les parties à l'origine de tels financements?


Le mécénat se distingue du sponsoring par l'absence d'intérêt commercial, industriel ou financier de la part du donateur, en d'autres mots par sa générosité. La motivation du mécénat est à chercher dans la volonté de personnes physiques ou morales, des fondations par exemple, de contribuer à la marche et au développement de la société. Peut-être aussi parfois par le souci pour l'un ou pour l'autre de laisser une trace de son passage sur cette terre. Il découle de ces motivations que les questions d'indépendance et d'ouverture sont beaucoup moins aigües dans le cadre du mécénat que dans celui du sponsoring. Il n'en reste pas moins que les mécènes ont des valeurs qui leur sont propres et qui leur font choisir de s'investir dans une activité plutôt qu'une autre et de le faire d'une manière plutôt que d'une autre.  Ces valeurs   colorent le travail et le rayonnement des institutions bénéficiaires. Elles sont plus ou moins en accord avec celles de la société en général. Comme le sponsoring, l'empreinte des valeurs du donateurs peut être problématique, par exemple si des éléments de propagande ou de prosélytisme y sont décelables.  Il s'agit donc ici aussi de mettre en place des conventions et contrats qui garantissent l'indépendance et l'identité de la recherche, de l'enseignements et des institutions bénéficiaires.

Les valeurs fondamentales de la recherche et de l'enseignement qui doivent être préservées quelque soit l'origine du financement sont l'indépendance du chercheur et de l'enseignement par rapport à des thèses pré-établies ou des intérêts particuliers et la publication de tous les résultats sous une forme ou une autre.

Les mécènes et dans une moindre mesure les sponsors exercent une influence sur le cadre institutionnel dans lequel ils opèrent. Les méthodes de travail et les valeurs des bailleurs de fonds se transmettent de manière plus ou moins évidente et consciente aux institutions dans lesquels ils sont actifs. Souvent cet apport permet aux vénérables institutions que sont nos écoles et nos universités de se confronter à d'autres moeurs et d'enrichir leur vision et leur manière d'être.

On peut se demander dans quelle mesure il est possible d'être absolument indifférent à la source de financement à l'origine de nos salaires et possibilités de travail. Ne reste-t-il pas, quelque soit notre volonté, une parcelle de nous qui sache que notre bien-être dépend du bon vouloir d'une organisation ou d'une autre? Dans ce sens, il est probablement irréaliste de penser qu'un groupe puisse ignorer totalement les intérêts de ses sponsors ou mécènes. Le même raisonnement s'applique aux institutions qui encadrent la recherche; elles ont aussi besoin de moyens pour exister et ne sont pas complètement étanches aux influences de leurs donateurs. Il n'y a en fait  pas plus d'absolu dans la défense des valeurs de la recherche et de l'enseignement que dans les autres aspects de la vie humaine. Ce constat ne diminue en rien, bien au contraire, la nécessité de traduire la volonté de maintenir les valeurs de la recherche et de l'enseignement  par des contrats et conventions explicites.


Quelque soit la vision que l'on peut avoir d'une société idéale, nous devons intégrer la présence de partenaires privés dans la vie de nos établissements de recherche et d'enseignement. Ces partenariats sont très souvent fructueux tant par les résultats qu'ils permettent d'obtenir que par l'enrichissement mutuel que la confrontation des points de vue et des méthodes de fonctionnement permet. La variété des situations et des acteurs privés rencontrés par des institutions publiques demande  des négociations, une pesée d'intérêt et finalement un jugement différencié de la part des responsables publics et politiques avant d'entrer dans des partenariats qui auront toujours une influence sur l'institution et sur la perception qu'en ont les citoyens qui la financent.  Il demeure cependant vrai que pour être reconnu comme positif et pour que la confiance que nos universités doivent inspirer reste intacte, les partenaires tant publics que privés doivent permettre une lecture limpide des enjeux et intérêts de chacun.