Ce texte est paru dans une version très légérement éditée dans le numéro 445, novembre 2014 du magazine "Pour la science". C'est un résumé d'un rapport écrit par un groupe de travail de l'EASAC, European Academies Science Advisory Council. que vous trouvez ici.

 

Cette question occupe souvent les discussions tant parmi le public que dans les cercles de professionnels de l'espace. L'EASAC, European Academies Science Advisory Council, qui rassemble les académies des pays membres de l'Union européenne, de la Norvège et de la Suisse, et s'efforce d'apporter des avis scientifiques pour faciliter et enrichir les processus de décisions politiques en Europe, s'est emparée de cette question en souhaitant éclairer la réflexion stratégique européenne en matière d'exploration spatiale.

 L'exploration spatiale est un des éléments centraux de notre découverte du monde, entre la découverte de notre planète au fil de voyages durant des siècles et l'observation de l'univers lointain avec les télescopes et satellites à notre disposition. Poursuivre cette exploration c'est approfondir ce chaînon de notre connaissance entre l'espace accessible à tous sur Terre et celui qui n'est accessible à personne. C'est aussi poursuivre des défis technologiques passionnants, il n'a jamais été facile de construire des instruments de mesure légers et fonctionnant avec un minimum d'énergie; C'est encore construire des importantes collaborations industrielles pour développer puis déployer dans un univers hostile, l'espace, des systèmes complexes avec des exigeances de contrôles de qualité maximales.

Pour toutes ces raisons, poursuivre et développer  un programme de développement vigoureux  est une évidence. Ce programme doit inclure une composante européenne autonome importante. L'Europe doit en effet pouvoir maîtriser les technologies spatiales pour diminuer sa dépendance envers les Etats-Unis dans ce secteur clef pour son indépendance sur la scène mondiale. Cette exigeance d'autonomie n'est pas en contradiction avec une ferme volonté de collaboration intercontinentale tant dans le cadre de projets à la pointe de la science que pour des raisons qui peuvent être plus politiques ou sociétales. On remarque aussi que les programmes d'exploration du système solaire des différentes agences spatiales autour du monde auraient beaucoup à gagner d'être discutés et harmonisés au niveau planétaire.

Le seul élément de vols habités européen est notre contribution à la station spatiale internationale. Ce programme s'est développé à l'origine pour des raisons dont la science n'était qu'un élément. Maintenant, cependant, la station spatiale est devenue un laboratoire fiable donnant des résultats de premier plans dans les domaines de la biologie, de la science des matériaux et des fluides et en médecine fondamentale. Il est donc recommandé que l'Europe participe pleinement à l'exploitation scientifique de ce laboratoire unique dans les années à venir.

Il est possible de considérer des vols habités dans l'exploration de la Lune et de Mars.  Une analyse des potentiels et problèmes que ces vols impliquent, montre cependant qu'une exploration robotique doit être considérée dans les années à venir. Les problèmes non encore maîtrisés des vols de longues durées vers Mars tels que la protection de l'équipage face aux rayons cosmiques, le développement de moyens pour assurer leur nourriture et survie et d'autres impliquent que le coût de tels missions ne peut être évalué et que de telles missions ne doivent ni ne peuvent faire partie de planification présente. Les vols habités en direction de la Lune doivent aussi suivre une exploration systématique automatisée.

Se pencher sur le programme d'exploration européen et sur l'éventualité de vols habités mène très naturellement à des considérations plus générales.

Le programme européen d'exploration spatiale s'inscrit en premier lieu dans les programmes scientifiques et d'exploration de l'ESA. Le programme scientifique peut se targuer de très belles réalisations depuis des décennies. Les chercheurs européens imaginent en continuité avec les réalisations passées des projets ambitieux dans les domaines les plus divers. L'Europe a les capacités technologiques et industrielles de réaliser nombre de ces projets.  La réelle limite de ce programme en est le financement. De même, le programme d'exploration est maintenant limité à une mission martienne robotique par les contraintes budgétaires. Ils semble donc qu'il ne soit pas opportun maintenant de transférer des ressources budgétaires de ces programmes vers l'exploration humaine.

Le coût des vols habités est extrêmement élevé. Une partie importante de ces coûts est la conséquence de la volonté de diminuer au maximum les risques encourus par les équipages. Or, l'exploration de notre planète au fil des siècles s'est faite en prenant des risques considérables. Sur les quelques 256 personnes qui sont partie pour la première circumnavigation avec Magellan, seuls 18 sont revenus. Les risques pris par les explorateurs polaires au début du XXème siècle furent aussi considérables. Nous devons donc nous demander dans quelle mesure la culture de sécurité dans laquelle nous vivons est est propice à l'exploration humaine de l'espace et dans quelle mesure une approche acceptant plus de risques pourrait être plus fructueuse. Une telle discussion devrait avoir lieu entre les acteurs des programmes d'exploration.

Un programme d'exploration spatiale européen vigoureux ne se construit pas sur le vide. Il doit pouvoir s'appuyer sur des infrastructures adaptées. Ces infrastructures incluent, mais ne sont pas limitées à un réseau de télécommunication capable de suivre des satellites dans les lointaines régions du système solaire. Les capacités de lancement européennes doivent être à même de mettre en orbite les masses nécessaires à des voyages interplanétaires. Ou encore, il doit être possible de mettre à disposition des charges utiles des sources d'énergies suffisantes, aussi loin du Soleil, là où l'énergie générée par des panneaux solaires devient insuffisante.

Les possibilités qui s'offrent dans le domaine de l'exploration spatiale sont immenses, aussi importantes que notre manque de connaissance de nos voisins dans ce système et que nos possibilités technologiques et industrielles. Les investissements consentis dans ce domaines amènent des contributions très variées à nos sociétés. Ces contribution vont de nouvelles connaissances fondamentales à de nouvelles technologies, approches industrielles, à une motivation des jeunes à s'investir dans les domaines scientifiques et techniques, et à une contribution à une culture de collaboration et de paix internationales. La géographie européenne et son histoire depuis quelques 70 ans la mette à la pointe des collaborations internationales, elle a fait montre d'un potentiel d'innovation scientifique, technique et organisationnels sans parallèle dans le monde. Elle a le potentiel pour continuer dans cette direction. Le développement d'une stratégie internationale optimisant les potentiels humains et robotiques, qui ne doivent pas être toujours opposés l'un à l'autre mais au contraire être conjugués habilement,  doit être intensifié en Europe et de manière planétaire.

L'étude présentée par l'EASAC est une étape vers le développement de cette stratégie. D'autres étapes doivent suivre. l'EASAC considérera dans les mois à venir quelle pourrait ou devrait être sa place dans ce programme.