Quand vous chauffez une plaque électrique sur une cuisinière sans placer une casserole dessus, vous sentez sa chaleur sur une main à quelque distance de la plaque, même sans la toucher (n’essayez pas de la toucher, vous risqueriez de vous brûler méchamment). La chaleur que vous percevez provient de la plaque ; il suffit d’éloigner votre main pour vous en convaincre. La plaque rayonne donc. Si vous laissiez la plaque trop longtemps sur le maximum du fourneau, elle deviendrait rouge et la chaleur que vous ressentiriez augmenterait. Le rayonnement serait devenu plus important. La lumière émise par une ampoule avec un filament de tungstène ou celle du soleil sont de même nature, la loi que nous cherchons permettra donc de les comprendre. La question est de pouvoir décrire l’énergie rayonnée par la plaque et en général par d’autres corps. Un rayonnement que l’on dit de « corps noir ».

Le rayonnement émis par la plaque et « senti » par votre main, comme le rayonnement de l’ampoule perçu par vos yeux, est électromagnétique : un champ électrique et magnétique qui vibre. La fréquence des vibrations détermine la couleur de l’objet. Noir mais chaud c’est du rayonnement infrarouge, puis plus la fréquence augmente plus la couleur devient rouge puis tend vers le bleu. Au-delà c’est de rayonnement ultraviolet qu’il s’agit. Notre description doit nous permettre de comprendre pourquoi le rayonnement de la plaque est rouge alors que celui de la lampe ou du soleil jaune.

Nous nous intéressons au rayonnement produit par un corps d’une température donnée. Isolons donc -en pensée- ce rayonnement et le corps qui le produit. Pour ce faire imaginons que notre plaque est en forme de boîte, la surface chaude de la plaque tournée vers l’intérieur. Le rayonnement est donc enfermé et ne dépend que de la température de la boîte. Il ne nous reste qu’à faire un petit trou pour voir et mesurer le rayonnement à l’intérieur sans perturber notre agencement.

Il y aura dans la boîte une certaine quantité d’ondes, chacune a une fréquence à laquelle correspond une longueur d’onde : la distance entre deux crêtes de l’onde. Il ne peut y avoir d’ondes plus longue que la taille de la boîte, elles n’auraient pas la place. On peut compter les ondes de longueur plus petite que la taille de la boîte. Si on exprime cette quantité en fonction de la fréquence des ondes on trouve que la densité d’ondes autour d’une fréquence donnée est proportionnelle au carré de la fréquence. Plus la fréquence est élevée plus la densité d’ondes est grande. Il n’y a pas de limite à la quantité d’ondes de très petite longueur d’onde donc de très haute fréquence.

A la fin du XIXème on a cherché quelle énergie ces ondes pouvaient avoir. Dans notre cas, la seule grandeur qui puisse entrer en jeu est celle qui correspond à la température des parois de notre boîte -à la température de la plaque électrique. Cette approche conduit à une absurdité : vous avez de plus en plus d’ondes à des hautes fréquences, sans limite, et vous assignez à chacune d’elle la même énergie. Vous concluez donc que l’énergie des ondes dans votre boîte est infinie. Cela n’a pas de sens, la boîte ne peut contenir une énergie infinie. De plus, vous devriez voir du bleu dans votre boîte, pas du rouge, ou, plus prosaïquement, votre plaque devrait vous apparaître bleue, ce que votre expérience contredit tous les jours.

 

Max Planck

Max Planck 1848-1947

Max Planck a formulé une hypothèse pour résoudre ce problème. Il a postulé qu’une onde de fréquence n contient une énergie h×n. Il ne s’agissait pour lui que d’un tour de passe-passe pour résoudre un non-sens physique. Et ça marche : comme les parois ont une température donnée, elles ne peuvent générer d’ondes d’énergie plus grande que celle qui correspond à cette température. Ce tour élimine donc toutes les ondes avec des fréquences plus élevées – qui auraient des énergies au-delà de celle des parois. L’énergie dans la boîte est finie. Cette astuce permet une description parfaitement raisonnable du rayonnement à l’intérieur de la boîte.

Il y a deux suites à cette histoire. La première est que lorsque vous faites les calculs impliqués par l’hypothèse de Planck et que vous comparez le résultat aux observations, les deux sont identiques. Ce qui était pensé comme une astuce pour résoudre une incohérence dans notre description de la nature est en plein accord avec celle-ci.

La seconde suite est encore plus époustouflante. L’astuce de Planck consiste à admettre que chaque onde électromagnétique a une énergie bien déterminée et quantifiée. Quand vous avez deux ondes de même fréquence, vous avez deux fois l’énergie d’une onde. Le rayonnement est quantifié. Cette observation est à l’origine de toute la mécanique quantique, la description du monde de l’extrêmement petit. En déroulant petit à petit le fil dont Planck avait découvert une extrémité, les physiciens ont trouvé au cours des décennies les outils qui permettent de comprendre les atomes, puis qui ont mené à toute l’électronique moderne.

En revenant à notre plaque, nous voyons maintenant qu’au fur et à mesure que la température de la plaque augmente, elle pourra générer des ondes plus énergétiques, donc de fréquences plus élevées. La couleur de la plaque évoluera du noir, l’infrarouge que nos yeux ne perçoivent pas, au rouge puis, mais gare aux incendies, au jaune. Le fil de tungstène de l’ampoule, jaunâtre, est plus chaud que la plaque de nos cuisinières et nous pouvons déduire de la couleur du soleil que sa température est d’environ 5000 °C. En regardant les étoiles la nuit, vous verrez des étoiles un peu plus rouge (Beltegueuse par exemple), d’autres plus bleue (Sirius). Vous conclurez maintenant avec raison que les premières sont plus froides que les secondes. L’étude de la plaque de nos t nous a mené jusqu’à l’astrophysique !

Il ne nous reste qu’à comprendre pourquoi on appelle corps noir notre plaque qui devient rouge ou le soleil, brillant. Ce paradoxe tient à ce qu’une surface qui émet comme nous l’avons décrit absorbe aussi le rayonnement le plus efficacement possible, d’où le qualificatif de noir.